L’hypothèse d’une demande de pièce complémentaire non exigée : revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat en décembre 2022

La liste des pièces à joindre à une demande d’autorisation d’urbanisme est limitative et dépend du type de demande (permis de construire, de démolir, déclaration préalable ou autre). Le dépôt d’un dossier complet fait courir le délai d’instruction à l’issu duquel, en principe, naît une décision d’acceptation. Toutefois, dans le délai d’un mois à compter du dépôt du dossier, l’administration peut solliciter la communication de pièce(s) complémentaire(s). Quid lorsque cette demande porte sur une pièce non exigée par le code de l’urbanisme ?


L’article R 423-41 du code de l’urbanisme envisage l’hypothèse de la demande de pièce irrégulière en ces termes : « Une demande de production de pièce manquante notifiée après la fin du délai d'un mois prévu à l'article R 423-38 ou ne portant pas sur l'une des pièces énumérées par le présent code n'a pas pour effet de modifier les délais d'instruction définis aux articles R 423-23 à R 423-37-1 et notifiés dans les conditions prévues par les articles R 423-42 à R 423-49. »

Autrement dit, seule la demande de pièce régulière a pour effet d’interrompre le délai d’instruction.

En cas de demande irrégulière, ce délai d’instruction n’est pas interrompu et le pétitionnaire devrait pouvoir se prévaloir d’une décision tacite d’acceptation au terme du délai d’instruction.

Jusqu’à récemment, la juridiction administrative était cependant frileuse à tirer de telles conclusions. Ainsi, dans le cadre d’un contentieux en annulation contre une décision de refus fondée sur une pièce irrégulière, il était jugé : « que si l'illégalité d'une demande tendant à la production d'une pièce qui ne peut être requise est de nature à entacher d'illégalité la décision tacite d'opposition prise en application de l'article R. 423-39 du code de l'urbanisme, elle ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d'une décision implicite de non-opposition » (en ce sens : Conseil d’Etat, 9 déc. 2015, n°390273 ; Conseil d’Etat, 13 nov. 2019, n°419067).

Il était donc acquis que la décision de refus, à condition qu’elle soit fondée sur une pièce complémentaire irrégulière, était illégale. Toutefois, le constat de cette illégalité ne pouvait rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite favorable.

De même, le fait de ne pas produire la pièce complémentaire irrégulière qui était sollicitée par l’administration empêchait que le pétitionnaire puisse se prévaloir d’une décision tacite d’acceptation (en ce sens : Cour Administrative d’Appel de Lyon, 19 mars 2019, n°18LY01010).

Ces jurisprudences ont toutefois été balayées par un arrêt rendu le 9 décembre 2022 par le Conseil d’Etat (Conseil d’Etat, 9 déc. 2022, n°454521).

Allant au bout de la logique de l’article R423-41 précité, il a été jugé à cette occasion :

« Il résulte de ces dispositions qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite. En application de ces dispositions, le délai d'instruction n'est ni interrompu, ni modifié par une demande, illégale, tendant à compléter le dossier par une pièce qui n'est pas exigée en application du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme. Dans ce cas, une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite naît à l'expiration du délai d'instruction, sans qu'une telle demande puisse y faire obstacle. ».

Au cas d’espèce, il s’agissait de la contestation en référé d’une décision d’opposition à déclaration préalable prise sur le fondement d’une pièce non exigée légalement, pour un projet d’implantation d’une antenne relai.

Le Juge des référés avait suspendu l’exécution de l’arrêté de refus et enjoint au maire de délivrer une attestation de non-opposition.

Par un revirement de jurisprudence, le Conseil d’Etat confirme cette solution. Il conviendra désormais pour les services instructeurs d’être vigilants sur les demandes de pièces complémentaires au risque de voir naître des décisions implicites favorables au profit des pétitionnaires.


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